Malgré les manifestations citoyennes et les appels de la communauté internationale, le Président burundais Pierre Nkurunziza se présentera à un troisième mandat ce 21 juillet. Cette candidature est totalement illégale et illégitime puisque les Accords d’Arusha et la Constitution burundaise prévoient qu’un président ne peut être réélu qu’une seule fois. Dans un Burundi à l’équilibre très fragile et encore hanté par les massacres interethniques, cette décision soulève la colère et l’inquiétude de la société civile burundaise et de la communauté internationale.
Plusieurs figures de l’opposition ont fui le pays par crainte de représailles. C’est le cas de Marguerite Barankitse, fondatrice de la Maison Shalom, qui est venue témoigner la semaine dernière au Parlement francophone bruxellois de la situation dramatique dans laquelle se trouve le Burundi. A ses côtés, le « Collectif des femmes pour la paix et la démocratie au Burundi », nous a interpellés sur les dangers liés à ce passage en force pour l’avenir du pays. Ces femmes activistes nous ont également appelé à soutenir les efforts de la société civile pour un Burundi démocratique et pluraliste tout en permettant aux femmes d’avoir voix au chapitre dans la prévention des conflit, les négociations de paix et la construction de la paix, comme le prescrit la Résolution 1325 du conseil de Sécurité des Nations Unies (octobre 2000). Vous pouvez écouter l’interview de Marguerite Barankitse ici.
Cette rencontre, organisée à l’initiative de ma collègue Nadia El Yousfi et par la Présidente du Parlement francophone bruxellois Julie De Groote, a débouché sur une proposition de résolution qui a été votée vendredi dernier en séance plénière et qui vise à condamner ce troisième mandat et à soutenir l’implication des femmes dans le processus démocratique au Burundi. Elle pourra très prochainement être consultée sur le site du Parlement francophone bruxellois.
La rencontre avec les femmes burundaise s’est clôturée par un très beau moment d’émotion avec le slam de Gioia Frolli qui est venue nous témoigner son amour pour la terre de ses ancêtres. Un magnifique texte rempli d’espoir que je vous livre ci-dessous :
Je ne suis pas là pour vous parler de politique, Juste du Burundi tel que je le connais. Dans mon recueil, « L’arbre sans racines d’un pays sans soleil », Je commence en disant : « dans les familles, les absences peuvent construire, mais les silences détruisent toujours ». Alors, je serai celle qui parle, qui brise les tabous.
Ma mère : Ndayirukiye Nathalie. Ma maman est métis, mais elle n’a jamais eu la chance de vivre au Burundi, A 50ans, elle ne connaît ni la langue, ni les lacs, ni le vent, ni les collines : Amputée d’une moitié d’identité puisqu’on la voulait « intégrée ». Elle a grandi entre Tournai et Kin, mais à 18ans elle a choisi la Belgique. Pour elle, l’Afrique signifie la misère, les massacres interethniques, Les coups d’état et les guerres qui semblent ne jamais finir. Le seul mot « Burundi » lui évoque encore aujourd’hui l’écho lointain et pourtant insupportable des cris dans la nuit. Ma mère a le cœur trop grand et les larmes trop faciles, Elle a tourné le dos à ce continent en flammes qu’est l’Afrique Elle avait besoin de se sentir en sécurité pour construire sa famille. Alors, sans jamais abandonner ses lointaines cousines, à 18 ans, Elle a choisi la Belgique.
Mon grand-père, Ndayirukiye Stanislas Babu, après avoir tout perdu à Kinshasa en 93 lors des pillages, décide de retourner à sa terre rouge de Gitega et au lait de ses vaches. Le vieux refuse le petit appartement en Belgique que lui proposent ses filles, Il dit adieu aux jolies villas avec piscine de Kin, Et rentre au pays… les poches vides mais enfin sage, Il revient hanter les collines pour devenir « Umutama », Le vieux recueille les plus jeunes orphelins de sa famille en ruine : Aîné de cinq enfants, il est alors le dernier à être encore en vie. Entre Sida et Malaria, ses frères et sœurs sont tous partis, Laissant derrière eux entre autre Edouard, Godelieve, Kamaro, Alida, Jean-Claude, Espérance, Emeline.
Moi. Gioia Frolli. Moi, j’ai grandi en Belgique. L’Italie et le Burundi ? Juste des inconnues dans le calcul des origines, Juste des cultures et des langues perdues sur les routes de l’exil. J’avais trois ans lorsque j’ai entendu pour la première fois les mots « Hutu, Tutsi », « Tutsi, Hutu »… Quelque part, malgré la distance, malgré la couleur, nous sommes tous les enfants du génocide, de la peur. Comme maman, les images de l’horreur m’ont nourrie, Un continent qui n’évoque que la crainte des lendemains, la maladie, la faim Quelques minutes au 20heures et parfois… le décès d’un lointain cousin. Pourtant en février 2011, lorsqu’un coup de téléphone m’annonce : « Ton grand-père, Stanislas Ndayirukiye s’est éteint », Après avoir beaucoup pleuré cet homme que je connaissais à peine, Je décide d’acheter un billet d’avion dès le lendemain. Et tant pis si je suis seule à faire le voyage, J’ai besoin de sentir, de toucher, de voir, de savoir, De me recueillir sur sa tombe au moins une fois. Mille fois, mille fois je m’étais imaginée découvrir le Burundi à son bras. Mais en cette année 2011, on m’annonce que Babu n’est plus là. Je suis partie à la rencontre de cette famille que je ne connaissais pas, Je suis partie, puis j’y suis retournée pendant plusieurs mois, Je pourrais vous dire que j’y ai trouvé la lumière, l’amour, la joie, Mais la vérité, avant tout, c’est que je me suis trouvée, moi. Simone disait « on ne naît pas femme, on le devient », Les filles et les mamans courage que ce pays a mis sur mon chemin, Ce sont elles qui m’ont permis de comprendre où je vais et surtout d’où je viens.
Laissez-moi vous parler de Godelieve. Elle et moi c’est simple comme deux cœurs, deux âmes qui s’attirent, On se parle tout bas des heures, elle me protège sans jamais cesser de sourire. Mon âme-soeur que la vie a rendue bien plus vieille que ses 25 années, Sa main dans la mienne, elle veut tout me raconter, tout m’expliquer. Godelieve… c’est une source d’amour qui ne tarit jamais, Une eau limpide dans laquelle tous peuvent se baigner, Elle voudrait ne jamais juger, envoie ses prières même aux plus mauvais. Ma cousine connaît l’art et la manière de rayonner au soleil, Mais elle sait aussi faire sienne chacune des peines que ses amis viennent lui apporter les jours de pluie. Godelieve pleure avec vous et se réjouit comme personne, Peu importe que le malheur soit à sa propre porte, Elle donne, accueille en vous serrant dans ses bras maigres et forts. Godelieve était si petite quand elle a perdu ses parents, Qu’elle se considère comme la fille de Stanislas, Elle parle de lui comme d’un sauveur, son ange. Alors, même s’il n’est plus là pour lui faire la morale, Elle refuse les prétendants et étudie avec acharnement, Malgré les années de retard, elle voit son objectif, droit devant. Godelieve dit que quand on a été sauvé, il faut rendre, aider à son tour, être digne et offrir au centuple ce que vous avez reçu, Sa grande-sœur, Espérance, est morte en novembre. manque de sang à l’hôpital où elle venait accoucher de son troisième enfant, Faute de soins appropriés, le bébé ne vivra lui non plus pas très longtemps. A peine enterrée, son mari est à la recherche d’une nouvelle concubine, Il cherche un moyen de se débarrasser des déjà bien encombrants petits… Alors Godelieve enrage et n’hésite pas, elle prend les orphelins et dit : « Je serai votre maman. C’est mon tour de donner ; En premier, tout mon amour, Et pour l’argent, tu sais on se débrouillera toujours ».
A 25ans, elle vit aujourd’hui avec son petit frère Edouard, et les deux enfants de sa sœur, de trois et cinq ans, Elle étudie et travaille en même temps, Au marché de Gitega, elle vend des vêtements Pendant qu’Edouard, travaille comme soudeur dans le bâtiment. Elle m’envoie des messages plein d’espoir, me dit que je lui manque. Elle est cette femme qui me rappelle qu’au final tout s’arrange ; Avec un peu de courage, en restant droite, en persévérant, Au final tout s’arrange… Si chaque enfant reçoit l’amour d’un parent.
Je vous ai parlé de Godelieve, mais j’aurais pu vous raconter les cœurs immenses, sans fond, de maman Liberate, maman Bibi, maman fundi, maman Ima, J’aurais pu vous parler d’Alida, partie trop vite, d’Anaïs ou de ma belle Emeline, J’aurai pu vous raconter l’incroyable force des paysannes et leur sourire. Ma mère, ma mère a choisi la Belgique. Moi, je voudrais choisir le Burundi. Aujourd’hui, je sais que je suis fille de Buraza, colline Musebeyi, Descendante du clan « Abanyarwanda », Fille du vieux Stany et de son père Xavier Kayaga, Aujourd’hui je me suis trouvé des racines et ma beauté peut croître : Je suis fille de l’odeur du charbon, des étoiles, du poids de la nuit, Fille de la saveur des fruits, des chansons, des milles nuances du Kirundi, Je suis fille des lacs, des poissons, fille des vaches, des chèvres, De la terre rouge et sèche, fille de la joie des Burundais, Je suis Hutsitwacongozungu, fille de Maggy Barankitse, Fille des tambours et de Juliette Nijimbere, Aujourd’hui, aujourd’hui j’ai compris : Le Burundi n’est ni une guerre, ni un enterrement, Le Burundi est une maman prête à tout sacrifier pour ses enfants, Et moi aussi, je suis une maman prête à tout sacrifier pour mes enfants, Pour Don Divin, Trésor, Siana et Israël, pour Mika, Chris, Joyeuse et Brillant, Mes neveux et nièces, de cœur ou de sang, ont fait de moi une mère, Un être responsable, fier et aimant. Ma mère a choisi la Belgique, et moi, je n’ai qu’un souhait : avoir la chance de pouvoir choisir le Burundi.