L’actualité en Israël et en Palestine est on ne peut plus inquiétante. Vingt ans déjà après l’assassinat de Rabin, la paix ne nous a jamais semblé aussi loin. Elle ne fait en effet pas partie de l’agenda du gouvernement de droite – extrême droite de Netanyahou III.
Le camp de la paix est très inquiet. Il est composé de citoyens israéliens, palestiniens, de citoyens du monde de toutes les confessions et de toutes les cultures ; ils appellent à une résolution politique du conflit et à la reprise des négociations de paix.
Pourtant, plus la situation sur place s’enflamme, plus certains jouent sur la dimension religieuse pour expliquer ce conflit, et plus s’exportent la haine et la méfiance de l’Autre. Il est temps qu’une troisième voie se rende plus visible, une voie qui ne se proclame pas « pro » ou « contra » mais qui dénonce fermement la politique du gouvernement Netanyahou et réclame la fin de l’occupation des Territoires palestiniens occupés, tout en appelant au dialogue entre les peuples.
J’ai été récemment l’invitée de l’émission « Grand Angle » sur TV5 Monde avec mon amie de longue date Leila Shahid. Nous y avons débattu du conflit et avons toutes deux appelé à une volonté politique forte pour reprendre les négociations et trouver une solution politique à ce conflit, un des plus anciens de notre histoire moderne :
Dans ce contexte, à l’occasion du 20ème aniversaire de l’assassinat du premier Ministre israélien, Yitshak Rabin, j’ai co-signé avec les membres du CJMAD (cercle judéo-musulman pour l’amitié et le dialogue) une carte blanche qui fait le point sur le recul des défenseurs de la paix depuis cette époque : https://www.rtbf.be/info/opinions/detail_rabin-reveille-toi-ils-sont-devenus-fous?id=9128199
Et enfin, Vincent Engel, écrivain et professeur à l’UCL, a écrit une très belle chronique dans Le Soir du du weekend dernier, qui me touche beaucoup. Son titre : Deux Femmmes contre la bêtise : le courage de Leila Shahid et de Simone Susskind .
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Le conflit israélo-palestinien n’en finit pas de durer. D’aucuns le présentent comme un « conflit de basse intensité », de ceux qui s’éternisent, fermentent, pourrissent et gangrènent la paix – celle de leur région, mais aussi celle du monde. De ces conflits qui détruisent les valeurs sur lesquelles les belligérants ont cru pouvoir, un temps, justifier leurs choix. Et de ceux qui offrent au pire des occasions de prospérer, dans les deux camps, alors qu’il vaudrait mieux rappeler qu’avoir été ou être victime ne donne pas que des droits.
L’écrivain israélien David Grossman l’a récemment écrit dans un éditorial repris par Libération et titré « Benjamin Nétanyahou, les yeux grand fermés », dans lequel il dénonce la folie qui s’est emparée du premier ministre israélien et que ce dernier impose à son peuple et au monde, urbi et orbi, avec les risques que l’on sait :
« Les lignes que j’écris n’ont pas pour but d’atténuer les dangers qui guettent Israël. L’Iran, Al-Qaeda, Daech, le Hamas et le Hezbollah, les poignards de la troisième Intifada, qui s’enhardit, et la haine de l’Israélien dans les pays arabes, de même que l’instabilité explosive du Moyen-Orient, tout cela est connu et concret, et il faut les affronter, les yeux grands ouverts. Mais celui qui ne s’obnubile que de cet aspect de la situation se transformera, en fin de compte, en victime de son obsession. Quiconque affiche une vision qui évolue uniquement, en un mouvement automatique et répétitif, sur l’axe qui va de « l’emploi de la force » à « l’emploi d’une force redoublée » sera, en fin de compte, vaincu par une force plus puissante et plus déterminée que lui. »
« Qui a vécu par le glaive périra par le glaive », disait un jeune Juif il y a deux mille ans. La droite qui dirige Israël semble pourtant convaincue que le glaive est la réponse au lance-pierre et qu’il permettra d’éradiquer l’adversaire. « Œil pour œil, dent pour dent » ; la proposition est appliquée à la lettre, et même avec intérêt vengeur, alors que dès l’Antiquité, la justice juive proposait une réparation symbolique et non charnelle. Grossman l’écrit justement dans son texte : Israël vit dans l’obsession mémorielle de la Shoah et Nétanayhou entretient ce traumatisme et l’exploite jusqu’à l’absurde, en n’hésitant pas à le déformer et à mentir, contribuant de la sorte, de manière spectaculaire, au discrédit et au rejet dont souffre de plus en plus la mémoire juste et mesurée de cette page terrifiante de l’histoire occidentale.
Rien de bon ne peut sortir de cette politique, de cette fuite en avant, de cet aveuglement meurtrier et criminel qui exploite la peur des Israéliens, réduit les Palestiniens à un sous-statut et prive tant les uns que les autres de toute perspective d’avenir et de développement sereins. Il faut faire autre chose. Mais quoi ?
Grossman propose un double axe : la collaboration avec les pays arabes dans la lutte contre l’intégrisme, et la reprise de négociations sincères avec les Palestiniens avec la volonté d’aboutir à une véritable solution, acceptable pour les deux partis.
Simone Susskind, militante infatigable pour la paix
C’est aussi ce que pense depuis toujours Simone Susskind, députée bruxelloise mais surtout militante pour la paix et le dialogue entre Israéliens et Palestiniens, au risque de susciter la haine auprès des autres membres de la communauté juive. Une solution qui – il faut le rappeler, tant le bon sens est malmené par le gouvernement israélien – passe par un retour aux frontières tracées par l’ONU et par l’abandon sans condition des colonies. Bien entendu, du côté des Palestiniens, cela passera aussi par la reconnaissance au droit à l’existence de l’État israélien ; mais quand le rapport de force est à ce point disproportionné, c’est au plus fort à faire les premiers pas, et des pas significatifs.
En attendant ce jour, que certains jugent plus improbable encore que la venue du Messie, Simone Susskind travaille sur le terrain, en collaboration étroite avec des femmes juives et arabes, israéliennes et palestiniennes, pour faire évoluer les mentalités. Une de ses interlocutrices les plus fidèles n’est autre que Leila Shahid, qui a très longtemps été l’ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, et qui elle aussi a toujours privilégié le dialogue entre Juifs et Arabes « de bonne volonté », sans jamais faire la moindre concession sur les droits des Palestiniens.
Dans une récente interview sur TV5 Monde, les deux femmes sont venues, côte à côte, rappeler ces évidences, à commencer par le fait que la paix ne peut découler de la politique actuelle du gouvernement israélien. Ni la paix ni même la sécurité pour Israël, et moins encore son développement économique.
Les actions menées par Simone Susskind visent les citoyens, les jeunes, les enfants, les femmes. Rassembler des instruments de musique et créer des orchestres, à l’instar de celui conduit par un autre combattant de la paix infatigable, Daniel Barenboïm, rassemblant des musiciens juifs et arabes ; faire se rencontrer des élèves palestiniens, israéliens et européens, pour faire tomber les clichés et permettre aux plus jeunes, ceux qui sont le plus à même de remettre en cause ces stéréotypes sur lesquels croissent la haine et la guerre, de découvrir la complexité de la réalité autant que sa richesse et les raisons qu’on y trouve d’espérer. Un mouvement pour la paix qui part de la base de la société, des citoyens ; de ceux, autrement dit, pour qui cette paix n’est pas un mot dans un discours, mais une réalité quotidienne à laquelle on aspire, et sans laquelle la vie devient vite un enfer.
Impossible du coup d’échapper à la question du boycott, qui a fait couler beaucoup d’encre chez nous. Les deux femmes s’accordent sur l’importance de faire la distinction entre ce qui pourrait être un soutien aux colonies et ce qui pourrait en être un à ceux qui, en Israël, se battent pour la paix. Un boycott généralisé sur TOUT ce qui vient d’Israël est une absurdité qui ne peut que renforcer les extrémismes et les radicalismes ; par contre, il faut refuser de contribuer à la colonisation et à l’occupation, de quelque manière que ce soit, et d’abord en frappant « là où ça fait mal », c’est-à-dire la dimension économique. Mais il faut tout autant soutenir ceux qui, en Israël et en Palestine, Juifs ou Arabes, soutiennent le projet d’une paix durable et équitable et pratiquer envers eux l’inverse du boycott : les aider, mettre en lumière et faire connaître leurs actions, et leur offrir, si besoin est, le soutien économique dont ils ont besoin pour faire triompher la seule cause légitime.
Leïla Shahid et l’exigence politique
L’ambassadrice le rappelle aussi avec force : aucune solution ne pourra être trouvée si la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, continue à tergiverser et à refuser des mesures énergiques, obligeant Israël à se comporter de manière civilisée et à renoncer à sa politique d’expansion, d’occupation et de domination. Mais tant que le Conseil de Sécurité de l’ONU permet à cinq membres de faire valoir un droit de véto, qui est une injure à la démocratie, il y a gros à parier que la situation n’évoluera guère. Le lobby juif américain pèse trop lourd dans l’élection, et ce lobby soutient la politique du pire menée par Nétanyahou et ses alliés gouvernementaux de droite et d’extrême droite. Il ne faut pourtant pas renoncer ; le règlement de ce conflit se jouera peut-être dans celui du conflit généralisé qui est en train d’embraser toute la région, dans ce que personne n’ose encore ouvertement qualifier de guerre mondiale, alors qu’un nombre impressionnant de nations s’y trouve impliqué.
L’exigence politique se joue évidemment à ce niveau supérieur, mais aussi au niveau de chaque citoyen, à qui la politique appartient en dernier ressort. Leila Shahid et Simone Susskind ne sont peut-être pas tout à fait des citoyennes comme les autres, de par leurs responsabilités politiques ; mais elles sont aussi des citoyennes et elles ne pourront aboutir dans leur tâche herculéenne qu’avec l’aide d’autres, anonymes ou non, partageant avec elle le même souci de l’humanité.