Plus de 7 ans après la « révolution du Jasmin », les premières élections municipales ont finalement eu lieu le 6 mai dernier. Je pense que ce scrutin est révolutionnaire à plus d’un égard.
Premièrement, l’obligation de la parité horizontale et verticale a permis à 580 femmes d’être têtes de liste dans les 350 communes tunisiennes.
Selon l’ISIE (l’Instance supérieure indépendante pour les élections), les femmes candidates ont obtenu 47% des sièges contre 53% pour les hommes ; un beau score pour leur entrée en politique à l’échelon local.
Deuxièmement, l’entrée en force des listes indépendantes qui supplantent les deux principaux partis, Ennahdha et Nidaa Tounes, est un solide élément pour cette démocratie tunisienne en construction.
Troisièmement, le début du processus de décentralisation engage le pays dans une réflexion profonde et un vaste chantier de réformes quant au rôle de l’État et de la redistribution des ressources.
Beaucoup mettent en doute l’indépendance de ces formations indépendantes et évoquent une manipulation, en particulier des femmes, par les partis politiques. Pour certains, le taux d’abstention de 33.7 % est le signe d’un rendez-vous électoral manqué et le désaveu criant d’une frange importante de la population tunisienne à l’égard de ses dirigeants. D’autres encore soulignent l’instrumentalisation de l’obligation de la parité horizontale et verticale à des fins politiques aux dépens des femmes candidates.
S’il me semble que ces affirmations ont toutes une part de vérité, que seules des analyses socio-politiques indépendantes et de qualité pourront éclairer, cela n’enlève en rien le fait que ces élections locales sont une véritable victoire pour la Tunisie post-Ben Ali. Ce petit pays construit sa démocratie, certes de manière imparfaite et décousue, mais n’est-ce pas le propre de toute démocratie, d’être imparfaite ?
Où sont nos « Femmes Leaders de Demain » ?
Le programme « Femmes Leaders de demain – Tunisie » (FLD-TN), piloté par notre association Actions in the Mediterranean comptait 46 femmes venant de toute la Tunisie.
Si 34 d’entre elles étaient finalement candidates au scrutin du 6 mai, 13 parmi nos participantes, qui ont entre 25 et 51 ans, ont été élues conseillères municipales et, très probablement, l’une d’entre elles sera nommée Cheffe de Mairie (Djerba). Originaires de Kebili, Kasserine, Sfax, Kairouan, Monastir, Nabeul, Tunis, La Manouba, Djerba et Bizerte et représentant les premiers courants politiques vainqueurs – les listes indépendantes, Ennahdha, Nidaa Tounes, le courant démocrate « Tayar » et le Front populaire – ces femmes, déterminées et persévérantes, ont été crédibles et convaincantes.
Dans un contexte incertain et inconnu, voire même hostile à la participation politique des femmes, toutes nos participantes ont relevé le défi. En ce sens, elles sont toutes des leaders et AIM est fière de les avoir modestement accompagnées tout au long de leur préparation à faire campagne électorale.
Pour celles qui ont été élues, c’est la consécration de leurs efforts et un encouragement à la poursuite de leur engagement en politique.
Pour les participantes non-élues, c’est une belle expérience humaine et formative qui leur permettra de tester les motivations de leur engagement politique présent et futur.
Pour AIM c’est l’aventure du programme « Femmes Leaders de Demain – Tunisie » qui continue.
D’un côté, il sera question de soutenir les participantes élues à assurer au mieux leurs fonctions et responsabilités et de promouvoir l’intégration de l’approche genre de manière transversale dans leurs pratiques politiques.
De l’autre, il s’agira de poursuivre le travail commencé avec les participantes non-élues en vue de l’établissement d’une communauté féminine trans-politique fondée sur les principes démocratiques.Ceci est primordial car cette approche permet de préparer l’évolution du politique, au sens large, et les futures échéances que la Tunisie est appelée à connaître que ce soient les prochaines élections régionales, les présidentielles et les législatives.
De plus, ce travail en amont est fondamental pour les femmes car il pose toute la problématique de leur préparation à participer à la chose publique.
Autant dire que le défi est de taille et que la continuité du soutien politique et/ou financier est cruciale. Rappelons que notre programme est soutenu et suivi de près par la Belgique et sa représentation officielle en Tunisie (Michel Tilemans, Ambassadeur belge en Tunisie et M. Christian Saelens – Délégué général de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles en Tunisie), par le Ministre Président de la Région de Bruxelles-Capitale, Rudy Demotte, par la France (représentée en Tunisie par l’Ambassadeur Olivier Poivre d’Arvor), par l’Organisation Internationale de la Francophonie, par la Fondation des Verts Hollandais, par l’Ambassadeure de Suisse en Tunisie, Rita Adams, sans oublier le Conseil de l’Europe, la Délégation de l’UE à Tunis et les partenaires associatifs tunisiens.
Mon amie, ma sœur Maya Jribi
A propos de soutien au programme « Femmes Leaders de demain – Tunisie » et en écrivant ces quelques lignes, toutes mes pensées vont à Maya Jribi qui nous a quitté ce samedi 19 mai.
Maya Jribi et moi sommes devenues amies au premier coup d’œil. Je l’ai rencontrée après la révolution lors d’un de mes nombreux voyages en Tunisie. Elle était à l’époque la présidente du parti Al Joumhouri, seule femme leader d’un parti politique. Elle avait été élue à l’Assemblée constituante au sein de laquelle elle a joué un rôle majeur, contribuant au processus de mise sur pied de la nouvelle Constitution, par son esprit de compromis sans jamais renoncer à ses valeurs. Féministe engagée, elle a soutenu les droits des femmes tout au long de son parcours.
J’ai eu le bonheur de l’inviter à venir à Bruxelles fin 2012 pour rencontrer les décideurs politiques belges et européens ainsi que la société civile. Depuis lors, nous n’avons plus jamais perdu le contact. Elle a suivi avec passion, même quand ses forces déclinaient, le travail que nous avons mené pour former des candidates tunisiennes aux élections municipales.
Elle aurait pu prétendre aux plus hautes fonctions en Tunisie si sa santé le lui avait permis tant elle était unanimement appréciée et aimée pour ses nobles combats et reconnue pour ses compétences.
Elle va profondément manquer à la Tunisie et à ses amis qui la pleurent.…..
Les deux dernières photos viennent du site huffpostmaghreb.