Après avoir été débattue en Commission des Affaires institutionnelles, cette proposition de résolution relative à la lutte contre l’antisémitisme (doc 6-437) a été adoptée à l’unanimité (à l’exception de l’absention de la NVA) lors de la Plénière du Sénat de Belgique du 14/12/2018. Ci-après, vous pouvez retrouver le discours que j’ai prononcé avant la mise au vote de cette proposition de résolution.

“Monsieur le Président,

Cher.e.s collègues,

La Belgique, comme d’autres pays européens, doit faire face aujourd’hui plus que jamais aux tensions interculturelles et aux tentations de repli sur soi. Les manifestations de rejet de l’autre sont de plus en plus répandues. Partout, les vieux démons de l’intolérance, du fanatisme, du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie, du sexisme et de l’homophobie refont surface ou s’expriment d’une manière de plus en plus décomplexée.

La banalisation du discours raciste et xénophobe dans la sphère publique est pour mon groupe un sujet de préoccupation grave car intolérable.

Les réseaux sociaux sont devenus des exutoires. Des propos haineux s’y déversent sans retenue. Mais ces actes restent sans suite et leurs auteurs restent trop souvent impunis.

Ces dernières années, des événements dramatiques en Belgique, en France et aux États-Unis ont fait ressortir le caractère meurtrier que peut prendre la haine antisémite toujours présente dans nos sociétés.

L’antisémitisme est un fléau qui a terni les 2 derniers millénaires de l’humanité et qui a culminé avec le génocide des Juifs par les Nazis durant la Seconde Guerre Mondiale.

Malheureusement ce fléau continue d’exister et prend de nouvelles formes.

Je reviens d’un colloque organisé à l’ULB, ces 12 et 13 décembre, par l’Institut Marcel Liebman et auquel j’ai participé. Ces deux journées étaient consacrées aux résurgences de l’antisémitisme. L’objectif était de réaliser une analyse des faits, des représentations et des usages de l’antisémitisme dans nos sociétés contemporaine.

J’ai participé à la table-ronde finale de ce colloque, consacrée aux « Réalités contemporaines de l’antisémitisme en Belgique » avec Patrick Charlier, co-directeur de UNIA, Mark Elchardus, professeur émérite à la VUB, Andrea Rea, professeur à l’ULB et Muriel Sacco, chercheuse à l’ULB.

La proposition de résolution que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui s’inscrit dans la ligne de la Déclaration du 6 décembre dernier du Conseil de l’Union Euroépenne et adoptée à l’unanimité. Cette Déclaration porte sur la lutte contre l’antisémitisme et la mise en place d’une approche commune en matière de sécurité afin de mieux protéger les communautés et les institutions juives.

Le premier Vice-président, Frans Timmermans a ainsi salué cette déclaration dans une déclaration (je cite) :

«À l’heure où la haine antisémite prend de l’ampleur, l’adoption à l’unanimité de la déclaration sur la lutte contre l’antisémitisme par les 28 États membres de l’UE envoie un signal fort à la communauté juive: l’UE et chacun de ses États membres sont à ses côtés pour garantir sa sécurité et son bien-être. Nous unirons nos efforts aux niveaux européen et national pour faire en sorte que les Juifs européens puissent bâtir un avenir pour eux et leurs enfants en Europe, avec tous les Européens. »

Il s’agit d’un moment important dans l’histoire de l’Union Européenne, alors que nous célébrons ce mois, le 70ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Je me réjouis du fait que l’Europe prenne le problème à bras le corps puisque l’Agence de l’Union Européenne pour les droits fondamentaux a publié ce lundi les résultats de sa seconde enquête sur l’antisémitisme en Europe. En Belgique, 86% des personnes juives considèrent que l’antisémitisme est un problème grave, urgent. Ces résultats ne sont pas bons et placent notre pays tout en bas du classement européen. Ces chiffres nous renvoient à nos responsabilités.

L’antisémitisme reste un sujet de vive préoccupation exigeant que davantage de mesures soient prises, c’est l’objectif du texte que nous nous apprêtons à voter.

Parmi les mesures que nous demandons, j’en épinglerai 3 sur lesquelles je souhaiterais intervenir plus spécifiquement.

En ce qui concerne la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA), je ne peux que me réjouir de l’adoption de âme l’amendement présenté par le groupe socialiste.

Il était, aux yeux de notre groupe, indispensable de préciser que cette définition de travail ne peut pas porter atteinte au cadre légal de la liberté d’expression tel que défini dans la Constitution et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dans ce cadre ma collègue de Bethune a tenu à rappeler que cette définition, si elle est évidemment juridiquement non contraignante, ne peut servir que d’instrument d’accompagnement. Nous disposons déjà d’une dans notre législation d’une définition légale de l’antisémitisme.

En effet, pour mon groupe et moi-même il est tout à fait essentiel de mettre l’accent sur la nécessité que la définition de l’antisémitisme de l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA) ne puisse être interprétée comme empêchant toute critique des politiques de l’Etat d’Israël et de son gouvernement à l’égard des droits du peuple palestinien.

D’où l’importance de faire nettement la différence entre l’identification de l’antisémitisme avec l’antisionisme.

 

Je relaie ici l’appel d’un groupe d’experts israéliens, spécialisés dans la recherche et l’enseignement de l’histoire juive qui « demandent à l’UE de mener un combat incessant contre l’antisémitisme et de protéger la vie juive en Europe et lui permettre de fleurir. Tout cela en maintenant une distinction claire entre une critique de l’État d’Israël, aussi sévère soit-elle et l’antisémitisme. Ils demandent de ne pas mêler l’antisionisme avec l’antisémitisme et de préserver la libre expression pour celles et ceux qui rejettent l’occupation israélienne et demandent qu’elle prenne fin. »

Un autre point de préoccupation de mon groupe est lié à cette récente étude européenne et commanditée par la fondation d’utilité publique allemande EVZ (Erinnerung-Verantwortung-Zukunft – littéralement Mémoire – Responsabilité – Avenir) au Center for the Study of Antisemitism de l’Université de Londres . Cette vaste étude dirigée par le professeur David Feldman et menée dans 5 pays d’Europe (l’Allemagne, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne et les Pays Bas) avait comme objectif d’étudier la question « Existe-t-il un lien entre antisémitisme et immigration en Europe de l’Ouest aujourd’hui ? ». Les résultats obtenus et publiés en mai 2018 par les chercheurs belges ne permettent pas de lier les actes antisémites à l’augmentation du nombre de nouveaux migrants dans notre pays. Il est important de préciser que les résultats obtenus par leurs collègues français, allemand, anglais et néerlandais sont similaires.

Nous sommes dès lors satisfaits du consensus qui s’est dégagé en commission pour viser l’ensemble des politiques d’éducation à la citoyenneté. L’insertion de modules spécifiques consacrés au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations doit se faire dans l’ensemble des politiques d’apprentissage de la citoyenneté.

Un bémol cependant, et j’en termine, le groupe socialiste regrette que son dernier amendement n’ait pas été adopté par la majorité de la commission Affaires institutionnelle du Sénat. L’amendement demandait au gouvernement d’examiner l’éventuelle possibilité de prévoir une aggravation de la peine en ce qui concerne les messages de haine, pour certaines catégories de personnes « influentes » qui exercent une fonction d’autorité et/ou une fonction d’exemple.

Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations (UNIA) dans son travail d’évaluation des lois antidiscrimination recommandait l’adoption d’une telle mesure.

Les lois antiracisme et antidiscrimination comportent diverses dispositions pénales relatives à la diffusion de messages de haine. De tels messages de haine peuvent provenir de citoyens ‘ordinaires’ qui publient par exemple des réactions sur Facebook ou qui envoient des messages via Twitter. Sauf en cas de diffusion systématique et/ou organisée, l’impact de ce genre de réactions sur le grand public est généralement limité, même s’il n »cessite un suivi sérieux.

Mais d’autre part, ces messages de haine peuvent aussi émaner de personnes ‘influentes’ qui exercent une fonction d’autorité et/ou une fonction d’exemple (comme du personnel enseignant ou éducatif, des agents de police,… ). Pour la société, l’impact de telles réactions est beaucoup plus large et plus profond.

Monsieur le Président, j’en terminerai avec cette expérience qui me tient beaucoup à cœur :   nous pilotons avec mon association « Actions in the Mediterranean «  (www.actinmed.org), pour la 5ème année consécutive, un programme réunissant des lycéens de 5ème de 3 à 4 écoles très différentes autour de la sensibilisation sur les complexités du conflit israo-palestinien. Durant l’ première année du programme, nous travaillons avec eux sur l’histoire du conflit, sur les stéréotypes liés à l’antisémitisme et à l’islamophobie et les médias. Ensuite, nous les emmenons sur le terrain, en Israel et en Palestine pour un voyage découverte autour de rencontres avec des lycéens palestiniens et israéliens ; c’est une expérience transformatrice ! Nous réalisons pour chaque édition un film qui leur sert l’année suivante, à devenir des « ambassadeurs de nuances » de leur expérience. Ils rencontrent ders centaines de jeunes et débattent avec eux autour de la projection de leur film. C’est une aventure exceptionnelle et enrichissante pour ces jeunes qui leur permet de déconstruire les préjugés liés au conflit israélo-palestinien et encourage la réflexion et la prise de conscience chez les eux des complexités du monde. En un mot, ils deviennent de véritables citohyens.

Pour conclure, je dirais que que le parti socialiste a toujours mené le combat contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations dans une approche universaliste.

Je suis profondément convaincue que la lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous et pas seulement celle d’une communauté.

Je vous remercie,

Simone Susskind “

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