J’ai participé ce lundi 9 septembre 2018 à une manifestation devant l’ambassade de Turquie à Bruxelles, en solidarité avec la vingtaine d’avocats turcs arrêtés en septembre 2017 et dont le procès s’est ouvert le même jour à Istanbul.

L’Association des avocats progressistes (Cagdas Hukukçular Dernegi) et le Bureau du droit du peuple (Halkin Hukuk Bürosu) visés par ces audiences sont notamment connus pour avoir défendu les familles des mineurs morts dans l’explosion de la mine de Soma (301 morts), les manifestants tués durant la révolte de Gezi, les enseignants victimes des purges ou encore les opposants kurdes et socialistes victimes des escadrons de la mort. Parmi eux, figure Selçuk Kozagacli, président de l’Association des avocats progressistes, déjà honoré en Europe pour son engagement en faveur des droits humains, notamment lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris en 2016.

Des avocats poursuivis ont entamé une grève de la faim en refus de l’imposition d’une comparution par webcam via le système dénommé SEGBIS. Ils ont finalement eu gain de cause.

Trois avocats du barreau de Liège suivent en observateurs le procès à Istanbul. Des membres du Syndicat des avocats pour la démocratie (SAD) et du Cabinet Progress Lawyers étaient de plus présents, en toge, au rassemblement à Bruxelles. J’ai pris la parole, comme Députée bruxelloise et Sénatrice, pour rappeler que des universitaires, des défenseurs des droits humains et d’autres membres de la société civile ont également été incarcérés en Turquie au lendemain de la tentative de coup d’Etat : « C’est un moment où la liberté perd de son poids, un moment où le pays est en train de se transformer en dictature au bénéfice d’un pouvoir personnel, où la démocratie est plus que jamais en danger ».

Ce furent les grandes retrouvailles entre les avocats emprisonnés et le public après un an d’absence. L’isolement des avocats est d’autant plus dur qu’il a été renforcé par une mesure de dispersion. Les avocats étaient aux quatre coins du pays, séparés les uns des autres et séparés de leurs compagnons de lutte.

D’entrée de jeu, Selçuk Kozaçagli a annoncé la couleur. Il a taxé le système judiciaire d’immense « Village Potemkine » (du nom de ces fausses façades érigées sur demande du ministre russe Potemkine pour cacher la pauvreté des villages que devait visiter l’impératrice Catherine II) et les juges de « panneau Potemkine ». « Je n’ai pas l’impression de me trouver devant un tribunal. (…) Les salles d’audience sont factices… »

« Vous tentez de tuer le métier d’avocat. Si vous nous demandez de prendre nos distances par rapport à nos clients pour que nous passions dans votre camp, sachez-le, jamais nous ne l’accepterons… »

« Nous sommes socialistes. Nous sommes des femmes et des hommes qui luttons pour le socialisme. Avons-nous des liens avec des organisations clandestines ? Oui, et c’est une obligation pour nous. Sans ces liens, comment pourrions-nous exercer notre métier d’avocat ? »

« J’ai enduré des moments difficiles dans l’exercice de ma profession. Plus de 150 de mes clients ont perdu la vie. J’ai assisté à l’autopsie de certains d’entre eux. Leurs corps étaient à ce point mutilés qu’ils étaient méconnaissables. Nous ne jouons pas au gauchisme. Nous travaillons au point de contact entre la violence de l’Etat et la violence révolutionnaire. Mes clients n’ont jamais recouru à une violence visant le peuple. Leur combat vise le pouvoir… »

« Le cabinet du président a une influence sur la justice. Les juges craignent de prononcer un verdict qui déplaise au pouvoir… »

Il lance aux juges : « Je n’ai aucune confiance en vous. Je suis prêt à endurer tous les châtiments que vous m’infligerez. J’ai formé des dizaines de stagiaires. Ils sont dans cette salle. Notre tradition n’est pas prête de se tarir. Jamais nous ne nous inclinerons. Jamais nous n’abandonnerons. »

 

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