Photo Credit : Adem Alta/ AFP via Getty (Found on : COEKELAERE Anne, “Recep Tayyip Erdoğan: No Turkey visa waiver, no refugee deal”, Politico, 25/05/2016)
Le gouvernement turc a décidé, il y a près de 2 mois, de lancer une opération massive contre la rébellion du PKK. La répression est sanglante contre les rebelles mais également contre les civils qui vivent dans le Sud-Est de la Turquie. Je me fais ici le relais des intellectuels turcs qui se sont mobilisés pour attirer l’attention de la communauté internationale sur les exactions menées par le gouvernement en toute impunité et avec un silence interpellant des médias.
1200 universitaires turcs et étrangers ont lancé ce 11 janvier 2016 un appel afin de briser le silence entourant l’opération contre le Kurdistan, dénoncer les violations du droit international et des droits humains, et relancer le processus de paix.
Réaction du gouvernement ? 21 signataires ont été arrêtés et font aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires. D’autres font l‘objet de menaces ou se voient interdits d’enseigner.
Il est clair que le gouvernement turc est engagé dans une fuite en avant dangereuse, qui a commencé en 2013 suite aux manifestations de la place Taksim. Depuis lors, le président Erdogan se maintient au pouvoir en jouant sur la polarisation entre communautés et le nationalisme et en faisant des kurdes la cause de tous les maux qui frappent aujourd’hui le pays.
De nombreux observateurs manifestent leurs inquiétudes, à l’instar de Gareth Jenkins, ancien correspondant de l’agence Reuters au Kurdistan turc, qui se dit plus préoccupé qu’il ne l’a été depuis 26 ans en voyant que chaque jour au Kurdistan turc, des civils sont exécutés sommairement, qu’un couvre-feu massif a été imposé à la population dans pluiseurs villes de la région. Selon lui, il y a aujourd’hui dans la société turque des tensions qu’il n’avait jamais vues auparavant.
Cengiz Aktar, politilogue et chercheur à l’Istanbul Policy Center a récemment accordé une interview au Nouvel Obs dans laquelle il dénonce l’installation d’un régime fascisant en Turquie et surtout le silence complice de l’Union Européenne qui continue d’espérer, à tort, que la Turquie sera son alliée dans l’endiguement de l’arrivée massive des réfugiés syriens. Il est clair qu’une occasion a été manquée avec le refus catégorique de certains leaders européens de voir entrer la Turquie dans l’Union Européenne. Les efforts qui avaient été déployés par les autorités turques en vue de cet objectif ont fait place à un retour des anciennes pratiques à l’égard des opposants et des minorités.
Il faut que les pays européens prennent en main leurs responsabilités et se montrent intransigeants face aux dérives fascisantes d’Erdogan, sans quoi les conséquences pourraient être terribles, pour la Turquie et pour l’Europe.
Je vous laisse découvrir ci-dessous l’appel des 1200 intellectuels turcs :
Nous, enseignants-chercheurs de Turquie, nous ne serons pas complices de ce crime !
L’État turc, en imposant depuis plusieurs semaines le couvre-feu à Sur, Silvan, Nusaybin, Cizre, Silopi et dans de nombreuses villes des provinces kurdes, condamne leurs habitants à la famine. Il bombarde avec des armes lourdes utilisées en temps de guerre. Il viole les droits fondamentaux, pourtant garantis par la Constitution et les conventions internationales dont il est signataire : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.
Ce massacre délibéré et planifié est une violation grave du droit international, des lois turques et des obligations qui incombent à la Turquie en vertu des traités internationaux dont elle est signataire.
Nous exigeons que cessent les massacres et l’exil forcé qui frappent les Kurdes et les peuples de ces régions, la levée des couvre-feux, que soient identifiés et sanctionnés ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’homme, et la réparation des pertes matérielles et morales subies par les citoyens dans les régions sous couvre-feu. A cette fin, nous exigeons que des observateurs indépendants, internationaux et nationaux, puissent se rendre dans ces régions pour des missions d’observation et d’enquête.
Nous exigeons que le gouvernement mette tout en œuvre pour l’ouverture de négociations et établisse une feuille de route vers une paix durable qui prenne en compte les demandes du mouvement politique kurde. Nous exigeons qu’à ces négociations participent des observateurs indépendants issus de la société civile, et nous sommes volontaires pour en être. Nous nous opposons à toute mesure visant à réduire l’opposition au silence.
En tant qu’universitaires et chercheurs, en Turquie ou à l’étranger, nous ne cautionnerons pas ce massacre par notre silence. Nous exigeons que l’Etat mette immédiatement fin aux violences envers ses citoyens. Tant que nos demandes ne seront pas satisfaites, nous ne cesserons d’intervenir auprès de l’opinion publique internationale, de l’Assemblée nationale et des partis politiques.”