[ENGLISH]
I had an uneasy conversation with Elie Wiesel in November 1991, at an event organized in Antwerp in support of one of the important Israeli hospitals.
He was the guest of honor of this evening. It took place during the First Intifada.
I asked him the following question: “How can you remain silent in face of the human rights attempts that the State of Israel commits against the Palestinians? As a Nobel Peace Prize winner, you cannot be silent when it comes to the State of Israel!”
He gave me the following answer: “I will never criticize the State of Israel whatever the circumstances after what I suffered during the Shoah”.
In face of the wave of articles praising him after he passed away, I felt the need to report this conversation and I am offering hereunder the open letter to Elie Wiesel, published by former Israeli Minister of Education, Yossi Sarid in 2010, who served under Prime Minister Itshak Rabin (1992-1995.
For Jerusalem’s sake I, like you, will not rest.
With great interest I read the beautiful open letter you penned to the U.S. president that appeared in the Washington Post, Wall Street Journal and International Herald Tribune on Friday, and which will appear in the New York Times today. From it I learned that you know much about heavenly Jerusalem, but less so about its counterpart here on earth.
An outsider reading your letter would probably have concluded that peace has already taken root in the City of Peace. He would learn that in Jerusalem, Jews, Christians and Muslims worship their gods unimpeded, that “all are allowed to build their homes anywhere in the city.”
Someone has deceived you, my dear friend. Not only may an Arab not build “anywhere,” but he may thank his god if he is not evicted from his home and thrown out onto the street with his family and property. Perhaps you’ve heard about Arab residents in Sheikh Jarrah, having lived there since 1948, who are again being uprooted and made refugees because certain Jews are chafing from Jerusalem’s space constraints.
Those same zealous Jews insist on inserting themselves like so many bones in the throats of Arab neighborhoods, purifying and Judaizing them with the help of rich American benefactors, several of whom you may know personally. Behind the scenes our prime minister and Jerusalem’s mayor are pulling the strings of this puppet show while in public deflecting responsibility for this lawlessness and greed. That is the real reason for the “new and old tensions surfacing at a disturbing pace” of which your warn in your letter.
For some reason your historical survey missed an event of the utmost importance, namely the destruction of the Temple. If we are already citing events that happened here 2,000 years ago, let us recall the Sicarii, who blinded by religious zeal murdered opponents within the Jewish community and brought on us the disaster of our 2,000-year exile. We have no choice, you and I, but to ask whether history is now repeating itself.
You, my dear friend, evoke the Jews’ biblical deed to Jerusalem, thereby imbuing our current conflict with messianic hues. As if our diplomatic quarrels weren’t enough, the worst of our enemies would be glad to dress this epic conflict in the garb of a holy war. We had better not join ranks with them, even if unintentionally.
The fact is and always will be that this city is holy to everyone – such is its blessing and its curse. That’s why the solution to the Jerusalem problem can’t wait for the end of the Middle East conflict as you suggest, because it will have no end if its resolution is postponed until “the Israeli and Palestinian communities find ways to live together in an atmosphere of security.”
“Jerusalem is above politics,” you write. It is unfortunate that a man of your standing must confuse fundamental issues and confound the reader. Is it not politics that deals with mankind’s weightiest issues, with matters of war and peace, life and death? And is life itself not holier than historical rights, than national and personal memory – holier even than Jerusalem? The living always take precedence over the dead, as must the present and future over the past.
There is nothing in our world “above politics.” Yes, politics creates problems, but only through it can those same problems be resolved.
Barack Obama appears well aware of his obligations to try to resolve the world’s ills, particularly ours here. Why then undercut him and tie his hands? On the contrary, let’s allow him to use his clout to save us from ourselves, to help both bruised and battered nations and free them from their prison. Then he can push both sides to divide the city into two capitals – to give Jewish areas to the Jews and Arab areas to the Arabs – and assign the Holy Basin to an agreed-on international authority.
Only then can Jerusalem be maintained as “the world’s Jewish spiritual capital,” as you write. The Jewish spirit does not need Sheikh Jarrah, Silwan, Abu Dis and Shoafat to fulfill God’s command to Abraham to “Arise, walk through the land in the length of it and in the breadth of it.”
[FRANÇAIS]
J’ai eu une conversation désagréable avec Elie Wiesel en novembre 1991 lors d’une soirée organisée à Anvers en soutien à un des grands hôpitaux israéliens.
Il en était l’invité d’honneur. Nous étions à cette époque au cœur de la première Intifada.
Je lui ai posé la question suivante: “Comment pouvez-vous vous taire face aux atteintes aux droits de l’homme que l’Etat d’Israël commet à l’égard des Palestiniens, alors que vous êtes Prix Nobel de la Paix? Vous ne pouvez pas rester silencieux lorsqu’il s’agit d’Israël!”
Il m’a donné la réponse suivante: “Je ne pourrai jamais critiquer l’Etat d’Israël quelles que soient les circonstances après ce que j’ai subi durant la Shoah”
Face au déferlement d’hommages dans le monde entier, suite au décès d’Elie Wiesel, je ressens l’obligation de raconter cette conversation et je reprends ci-dessous une lettre ouverte à Elie Wiesel, publiée en 2010 par l’homme politique israélien Yossi Sarid, qui fut ministre de l’Education dans le gouvernement d’Itshak Rabin (1992-1995).
Au nom de Jérusalem, je ne me reposerai pas. Comme vous.
J’ai lu avec grand intérêt votre belle lettre ouverte au président des Etats-Unis, parue vendredi dans le Washington Post, le Wall Street Journal et l’International Herald Tribune, et qui paraîtra ce jour dans le New York Times. J’y ai appris que vous en saviez beaucoup sur la Jérusalem céleste, mais beaucoup moins sur la Jérusalem terrestre.
Quelqu’un de l’extérieur qui lirait votre lettre aurait probablement conclu que la paix règnait déjà sur la Cité de la Paix. Il y apprendrait qu’à Jérusalem, juifs, chrétiens et musulmans rendent leur culte à leur dieu sans entraves et qu’ils “peuvent bâtir leur maison partout dans la ville”.
Quelqu’un vous a trompé, cher ami. Non seulement un Arabe ne peut pas bâtir « partout », mais il peut remercier son dieu s’il n’est pas expulsé de chez lui et jeté à la rue avec sa famille et ses biens. Peut-être avez-vous entendu parler des habitants arabes du quartier de Sheikh Jarrah, qui l’habitent depuis 1948 et qui, encore une fois, sont déracinés et deviennent réfugiés parce que certains juifs s’irritent des contraintes spatiales qu’on leur impose.
Ces mêmes juifs, religieux fanatiques, veulent s’insérer comme autant d’os dans la gorge des quartiers arabes en les « purifiant » et en les « judaïsant », avec l’aide de riches bienfaiteurs américains dont il est possible que vous connaissiez certains personnellement. En coulisse, notre premier ministre et le maire de Jérusalem tirent les ficelles de ce théâtre d’ombres, tout en rejetant en public la responsabilité de cet état de non-droit et de rapacité. Voilà la vraie raison de ces “anciennes et nouvelles tensions qui refont surface à un rythme dérangeant” auxquelles vous faites allusion dans votre lettre.
Pour une raison inconnue, votre survol historique ne parle pas d’un événement d’une extrême importance, la destruction du Temple. Si nous en sommes à citer des événements datant d’il y a 2 000 ans, rappelons-nous les sicaires qui, aveuglés par leur fanatisme religieux, ont assassiné des opposants au sein de la communauté juive et provoqué le désastre de l’exil. Nous n’avons d’autre choix, vous et moi, que de nous demander si l’histoire ne se répète pas.
Cher ami, vous évoquez la Jérusalem biblique des juifs. Ainsi, vous teintez notre conflit actuel d’accents messianiques. Or, si nos querelles diplomatiques ne suffisaient pas, les pires de nos ennemis se feraient une joie d’habiller ce conflit épique en costume de guerre sainte. Gardons-nous de rejoindre leurs rangs, intentionnellement ou non.
Le fait est que cette ville sera sainte pour tous, pour son bonheur comme pour son malheur. Voilà pourquoi une solution au problème de Jérusalem ne peut pas attendre la fin du conflit au Proche-Orient, comme vous le suggérez, car il ne se terminera pas si sa solution est repoussée jusqu’à ce que “les communautés trouvent une façon de vivre ensemble dans une atmosphère de sécurité”.
“Jérusalem est au-dessus de la politique”, écrivez-vous. Il est navrant qu’un homme de votre stature fasse la confusion sur des sujets essentiels et plonge le lecteur dans cette confusion. Car n’est-ce pas la politique qui traite des problèmes de l’humanité les plus lourds, la paix et la guerre, la vie et la mort ? Et la vie elle-même n’est-elle pas plus sacrée que les droits historiques ou la mémoire, nationale et personnelle – plus sacrée même que Jérusalem ? Les vivants doivent toujours avoir la préséance sur les morts, et le présent sur le passé.
Il n’y a rien dans notre monde qui soit “au-dessus de la politique”. Oui, la politique crée des problèmes, mais ce n’est que par elle qu’on peut les résoudre.
Barack Obama semble très conscient de son devoir d’essayer de résoudre les maux du monde, en particulier les nôtres, ici. Alors, pourquoi lui lier les mains ? Au contraire, permettons-lui de peser de son poids pour nous sauver de nous-mêmes, et d’aider nos deux peuples blessés et martyrisés à se libérer de leur prison. Alors, il pourra pousser les deux côtés à diviser la ville en deux capitales, à donner les quartiers juifs aux juifs et les quartiers arabes aux Arabes et à donner un statut sous autorité internationale au Bassin Sacré.
Alors, et alors seulement, Jérusalem pourra demeurer “la capitale spirituelle juive dans le monde”, comme vous l’écrivez.
L’esprit du judaïsme n’a pas besoin de Sheikh Jarrah, Silwan, Abou Dis et Shoafat (quartiers arabes de Jérusalem, ndt) pour obéir au commandement de l’Eternel à Abraham : “Lève-toi et parcours cette terre de long en large”(Gen. XIII, 14, ndt)