D’ici quelques jours, l’Egypte aura un nouveau président. Sauf énorme surprise, ce sera le Général Abdel Fatah El-Sissi.

Certes, il sera élu. Certes, il bénéficiera d’une grande popularité. Mais ne nous y trompons pas. Non, il ne s’agira en rien d’un pas vers une transition démocratique pour ce pays.

Rappelons-le, El Sissi est l’homme qui a orchestré, à la faveur d’un soulèvement populaire sans précédent, le renversement du premier président démocratiquement élu en Egypte, Mohamed Morsi, en juillet 2013. C’est également lui qui a orchestré le massacre, en un seul jour, de plus d’un millier de manifestants, à la place « Rabea » au Caire, en aout 2013. C’est toujours lui qu’on retrouve aux manettes, bien plus tôt, lorsque l’armée égyptienne arrête de jeunes manifestantes laïques et les soumet à un test forcé de virginité. C’est également son ombre qui plane sur l’arrestation, en 2012, d’une quarantaine d’employés d’ONG américaines et européennes de promotion de la démocratie dont la mission était de former et d’assister les jeunes partis politiques libéraux en Egypte. Certains écoperont de peines de quatre ans de prison.

Depuis le renversement de Morsi, la répression a sans cesse augmenté en Egypte, rappelant les jours les plus sombres du règne du Président Abdel Nasser. Entre 15 000 et 22 000 prisonniers politiques ont été jetés en prison en à peine quelques mois, la majeure partie sans procès et en dehors de tout cadre légal. La répression ne s’est pas limitée aux seuls islamistes.

Les mouvements de jeunes démocrates qui avaient porté la révolution de 2011 sur la place Tahrir ont également eu à subir l’autoritarisme du Général. A la faveur d’une loi liberticide et critiquée par les Nations Unies pour sa non-conformité avec le droit international, le Général rend de fait illégale l’organisation de manifestations pacifiques.

Les leaders de jeunes mouvements politiques, dont notamment Ahmad Maher, Mohamad Adel et Ahmad Douma, écopent de trois de prison. Le bloggeur Alaa Abdel Fatah est arrêté et jeté en prison. Le Mouvement du 6 avril est déclaré illégal par un juge à la botte du pouvoir.

Le 20 mai 2014, une jeune défenseuse des droits de l’Homme, Mouheinour El Masri, et huit autres activistes sont condamnés à deux ans de prison. La presse, elle, n’a plus le droit de dévier de la ligne éditoriale officielle. Les rares journalistes qui osent le faire sont menacés. Certains sont privés d’antenne ou mis à l’écart. D’autres sont maintenant en prison.

Plus inquiétant encore, l’arrivée du Général Sissi aux affaires marque le retour des militaires au pouvoir. Cet ancien chef des renseignements militaires, devenu ministre de la défense sous Morsi, ne tolère pas la moindre critique de l’institution militaire. Il a réussi à faire inscrire dans la Constitution égyptienne un statut particulier pour l’armée : son budget ne sera pas examiné par le futur parlement ; le futur président ne pourra pas librement choisir la personnalité du ministre de la défense, ce dernier devant par ailleurs être issu de l’armée.

Beaucoup diront que l’Egypte a besoin d’un homme fort. D’un homme à poigne qui saura lutter contre le terrorisme et réinstaurer l’ordre et la sécurité. Cela est probablement très vrai.

Mais cela n’empêche en rien que cet homme, ou cette femme, soit aussi un démocrate !

Par ailleurs, il importe de souligner que la vague d’attentats que connaît aujourd’hui l’Egypte a commencé le jour où Sissi a renversé Morsi.

Sa violence aveugle et son incapacité à dialoguer, même avec les plus modérés, ont été générateurs d’une radicalité accrue, y compris au Sinaï où sont entrés en action des groupes djhadistes jusque-là inconnus. Depuis l’entrée en scène du Général Sissi, l’Egypte est le théâtre d’attentats sans précédent. Un peu partout en Egypte, des attaques violentes ont lieu. Des bâtiments de la police et des militaires sont visés. Son bilan sécuritaire est en réalité désastreux.

Que l’on ne m’accuse pas de soutenir des régimes islamistes. Cela n’est nullement le cas. Mais que l’on ne vienne pas non plus me dire que ce Général est ce dont l’Egypte a besoin. Il y a en Egypte toutes les ressources et les capacités nécessaires pour construire une réelle démocratie stable, soucieuse du bien-être de ses citoyens et de la paix dans cette région du monde.

Entre militaires et islamistes, une troisième voie existe déjà, même si elle est encore minoritaire.

Encore faudrait-il que les vrais démocrates puissent s’exprimer sans avoir à craindre les fatwas des uns ou les bottes des autres…